Le retour du Livreur

Les semaines passèrent, et la neige, tenace, continuait de recouvrir la petite ville, étouffant les sons et intensifiant l’atmosphère de mystère qui pesait sur ses ruelles. Le café, jadis un lieu de chaleur et de rires, semblait désormais figé dans une torpeur inquiète. Les habitants murmuraient encore à propos de la Femme aux flocons, mais un autre murmure, plus ancien, refit surface : le Livreur.

Un soir où la lune, pleine et blafarde, jetait une lumière irréelle sur la neige, une silhouette familière apparut au bout de la rue principale. Vêtu de son manteau sombre et coiffé de son chapeau à large bord, le Livreur marchait d’un pas calme, presque cérémonial. Il tenait à la main une petite valise usée, la même que celle qu’il portait toujours. Les rares passants s’immobilisèrent, figés entre stupeur et crainte. Il semblait ne pas les voir, ses yeux fixés droit devant lui.

Lorsqu’il poussa la porte du café, un frisson traversa l’assemblée. Le grincement des gonds résonna dans le silence comme un cri d’avertissement. Lentement, il s’approcha de la table, désormais vide depuis que les propriétaires avaient fait brûler celle gravée par la mystérieuse réponse. À sa place se trouvait une autre table, identique en apparence, mais qui semblait étrangement terne sous la lumière vacillante des chandeliers.

La confrontation
À peine s’était-il assis que la porte s’ouvrit de nouveau. La Femme aux flocons fit son entrée, accompagnée d’un souffle glacial qui fit vaciller les flammes des chandeliers. Les regards de la femme et du Livreur se croisèrent, et pour la première fois, une tension presque palpable emplit la pièce. Elle s’avança d’un pas sûr, son carnet à la main, et s’assit en face de lui. Aucun mot ne fut échangé, mais leurs gestes étaient éloquents.

Le Livreur ouvrit sa valise et en sortit un paquet d’enveloppes jaunies par le temps. La Femme, elle, ouvrit son carnet et commença à écrire d’une main ferme, comme si chaque mot qu’elle traçait répondait à une énigme posée en silence par l’homme en face d’elle. Les clients, terrifiés mais fascinés, osèrent à peine respirer. Chacun savait qu’il se jouait ici quelque chose de bien plus grand que la simple transmission de secrets.

Soudain, le Livreur brisa le silence. Sa voix, rauque et profonde, résonna :
« Tu joues avec des forces qui te dépassent. »
La Femme, sans lever les yeux de son carnet, répondit d’un ton glacial :
« Et toi, tu les as laissées te consommer. »

La révélation
Les chandeliers vacillèrent une dernière fois avant de s’éteindre, plongeant le café dans l’obscurité totale. Un grondement sourd monta, semblable à celui d’une avalanche, et une lumière blanche, aveuglante, emplit la pièce. Quand les clients retrouvèrent la vue, les deux figures avaient disparu, ne laissant derrière elles qu’un carnet ouvert sur la table. Les pages semblaient brûlées sur les bords, et les mots qui y étaient inscrits formaient un avertissement énigmatique :
« Le cycle est bouclé, mais le prix reste à payer. »

Une peur éternelle
Le lendemain, les habitants trouvèrent le café fermé, ses portes scellées par des planches clouées en hâte. Certains racontèrent avoir vu des ombres danser à l’intérieur durant la nuit, comme si le bâtiment lui-même portait le poids des secrets qu’il avait abrités. D’autres affirmèrent que le Livreur et la Femme avaient fusionné, devenant une entité qui parcourait désormais les rues enneigées à la recherche de nouvelles vérités.

Une chose est sûre : dans cette petite ville, plus personne n’osait parler à voix haute de ce qu’il savait. Car la légende avait pris un nouveau tournant, et chacun comprenait qu’un simple murmure pouvait désormais éveiller des forces bien plus sombres que le silence.